La dépression

   La dépression est une sale maladie. Lorsque l'on est submergé par elle, on n'a pas l'impression d'être malade. On se sent juste coupable de tout, de ne rien réussir à faire, de ne pas avoir envie de se lever le matin, d'être fatigué, de ne pas dormir, de vivre mal, etc. On se sent coupable des symptômes de la maladie, sans la reconnaître. Et même lorsque le médecin met le doigt dessus et nous prescrit un arrêt de travail, on se traite de tire-au-flanc, on se dit que sûrement, avec un peu de volonté, on s'en sortirait - mais on est tellement faible, dans tous les sens du terme, on ne peut pas s'en sortir. On ne sait pas toujours (pas souvent) pourquoi on est entré en dépression, mais on ne sait surtout pas comment en sortir.

   Au niveau des critères de diagnostic : selon le DSM-IV, cinq symptômes ou plus dans la liste suivante doivent avoir été présents pendant au moins deux semaines consécutives, presque tous les jours et pratiquement toute la journée. Au moins un des symptômes est soit une humeur dépressive, soit une perte d'intérêt ou de plaisir.
Voici la liste :
   - humeur triste, dépressive, ou irritabilité chez l'enfant et l'adolescent
   - diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités (en particulier les activités appréciées antérieurement)
   - perte ou gain de poids en l'absence de régime, ou diminution ou augmentation de l'appétit
   - insomnie ou hypersomnie
   - agitation ou ralentissement
   - fatigue ou perte d'énergie
   - sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive
   - diminution des facultés de concentration ou indécision permanente
   - pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires sans plan précis, ou tentative de suicide, ou plan précis pour se suicider.
   Ces symptômes induisent une souffrance significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d'autres domaines importants. Ils ne sont pas imputables aux effets directs d'une substance (drogue, médicament) ou d'une maladie (par exemple l'hypothyroïdie). Ils ne sont pas expliqués par un deuil.

   La dépression est une souffrance massive de l'Être. J'aurais tendance à avancer l'hypothèse qu'elle apparaît quand la personne vit sans écouter son Être Profond.
  Elle peut représenter une chance, au sens où; lorsqu'elle s'impose, on ne peut que s'arrêter et tenter de comprendre. Ce travail se fait en psychothérapie et il est fondamental (bien plus que les antidépresseurs). C'est l'occasion de transformer sa vie, de changer son regard sur le monde. C'est douloureux, bien sûr, comme l'est une naissance.
Car il s'agit bien d'une deuxième naissance, la mise au monde de ce qui est enfoui. Comme le bébé poussant sur le périnée de sa mère pour sortir d'un espace devenu trop étroit, l'Être Profond pousse sur le cerveau pour enfin avoir droit de cité.

   Les enfants apprennent des adultes à se comporter selon des critères essentiellement sociaux. Qu'est-ce que l'éducation. Selon Abraham Maslow, "l'éducation doit amener l'enfant à la fois à entendre et à suivre sa voix intérieure,e t en même temps à tenir compte de son environnement et des autres." Dans les faits, nombre de parents enseignent essentiellement, voire uniquement,  à leurs enfants à tenir compte des autres. Bien sûr, cela est important, mais cela n'est certainement pas suffisant. Lorsque l'enfant apprend à agir seulement en cherchant le regard approbateur de l'autre (car de cette approbation dépend l'amour qu'il reçoit - du moins le perçoit-il ainsi), il se coupe de sa nature intime, il ne sait plus qui il est. Il est "l'objet qui fait plaisir à l'autre", parfois "l'objet qui contarie l'autre", mais en se définissant toujours en fonction de l'autre, il se perd lui-même. Et, à force de répéter de telles expériences, cela devient sa façon de fonctionner, de vivre, et son Être Profond n'a plus jamais droit de cité.
Alors celui-ci va craquer, et cela va se faire avec violence.

   La contradiction vient du fait qu'en voulant mieux vivre, l'Être se met en danger de mort. Mais la contradiction n'est qu'apparente, car dans les faits, le seul risque qu'il prend est celui de vivre. Puisqu'il se voit déjà mort.
La vie, telle qu'elle se passe, n'est pas la vie à laquelle il aspire.
Alors, il fait tout craquer.

   La dépression est souvent décrite comme "une maladie du désir". C'est l'arrêt de l'énergie de vivre, du désir de vivre.
C'est que, pour retrouver l'envie, il est nécessaire de se retirer en soi pour aller discuter avec cet Être Profond qui se rebelle? Cela peut évoquer l'océan lors d'une marée basse à très fort coefficient, qui se retire dans des contrées inconnues - l'étendue laissée est alors déserte et désolée, l'oeil cherche un relief mais se perd dans la monotonie, l'odeur est désagréable, cela a une allure de fin du monde. Mais lorsque la vague revient, c'est toute la vie qui s'affirme, et on est d'autant plus soulagé de l'avoir retrouvée que l'on croyait l'avoir perdue.

   Le retrait en soi est délicat. Il convient de ne pas le faire seul, car il peut devenir extrêmement dangereux. Il est souvent accompagné de pensées noires, du constat que "l'on n'a pas été fichu de construire quelque chose de sa vie"- l'envie de l'arrêter là est souvent très fort. Car on ne dispose pas d'énergie pour tenter autre chose. On a juste envie de se poser là, de déposer les bagages, et de se reposer.
   La mort est attirante, car la mort est le repos.

   Il est indispensable d'être bien accompagné dans cette phase délicate. Un thérapeute bienveillant et disponible est absolument nécessaire. Un thérapeute qui permet à la personne de se mettre à l'écoute de son Être Profond, quitte à vivre intensément des émotions extrêmement désagréables, un thérapeute qui sait recevoir sans diriger, qui sait tendre la main quand la personne semble se noyer, qui entend la souffrance et accueille celle-ci avec sérénité, car il a confiance.
   Il sait que la vague de la vie sait revenir.

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