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Une expérience en Bioanalyse : Yggdrasil

4/2/18

      J'aimerais aujourd'hui vous narrer une de mes propres expériences lors d'une séance de bioanalyse férenczienne. Cette séance remonte à plusieurs années, à une période où je n'allais pas très bien et tentais de sortir d'une dépression sévère. J'étais accueillie chez Geneviève François, dans un hameau près de Limoges, et participais à un groupe thérapeutique.
      Allongée sur le tapis, dans une ambiance lumineuse tamisée, en marge du monde , une insondable rumeur en moi baisse la garde, une connexion différente à l'Etre s'effectue ; la pulsation de la respiration accélère le processus ; je plonge dans mon corps. Mais qui est ce « je » ? Aucune importance. La conscience a muté et je laisse le voyage se dérouler. Il n'y a pas besoin de LSD pour modifier sa conscience, mais je suppose que certaines substances permettent une autre vitesse du processus. Moi, je ne suis pas pressée. J’adore la marche à pied, mettre un pas derrière l'autre en profitant de façon vigile du paysage, du papillon qui butine, du reflet de la lumière sur une flaque, de la silhouette d'un arbre isolé. Mon émotion est paisible aujourd'hui, mon corps est calme et l'image qui s'impose est celle d'un arbre magnifique. Son nom est Yggdrasill, je le sais mais ne le connais pas – ses racines sont fortes et plongent dans la terre-mère, ses branches s'épanchent, se déploient, s'éventaillent. Un serpent se love à sa base, entre ses trois racines. Plus haut sur la gauche, des rats – plus loin, une énorme araignée. A droite, des trolls, et au milieu, un dragon. Sur une des branches basses repose une magnifique panthère noire. Plus haut, des écureuils dorés. Encore plus haut, une chouette blanche. Sur l droite, un corbeau veuf. Et les étoiles à la cime de l'Arbre. Sérénité et plénitude. Toutes mes expériences de modification de conscience ne m'apportent pas cette sérénité, loin s'en faut. Je contemple l'Arbre, pleinement satisfaite de cette vie. C'est une pause sur mon chemin, une respiration, un instant de paix.
      Lors d'un telle expérience, il convient déjà de reconnaître que la connexion à la sérénité est possible. Rien que cette prise de conscience est thérapeutique : il paraît souvent tellement improbable que cette paix soit accessible à si peu de frais que la découvrir là, à portée de main, à portée de conscience, est fabuleux. Nous avons en nous tant d'espaces que nous ignorons… Il existe aussi, dans une telle vision, une dimension symbolique qu'il convient d'explorer. A l'instar du rêve, il s'agit d'aller voir ce qu'elle signifie au niveau allégorique.
       Yggdrasill est issu de la mythologie nordique . Il s'agit de ce que l'on appelle un Arbre cosmique, que l'on peut retrouver dans toutes les traditions du monde : « Axe de l'univers, il traversait les trois mondes. Ses racines s'enfonçaient jusqu'aux souterrains abîmes, ses branches atteignaient l'empyrée. (…) Vertical, l'arbre assurait la liaison entre l'univers ouranien et les gouffres chtoniens. En lui le cosmos perpétuellement se régénérait. » Mais dans ma vision, il était nommé, il s'agissait bien d'Yggdrasill : « Yggrasill est le plus grand et le meilleur des arbres. Ses branches s'étendent au-dessus de tous les mondes et atteignent le ciel. (...) Par ses racines, Yggdrasill permet l'émergence à la surface terrestre des trois domaines chtoniens superposés, celui des dieux, celui des géants préhistoriques et celui des ancêtres humains. Le tronc du frêne traverse l'étage médian situé entre ciel et terre (…) où vivent les hommes, et sa cime s'élève jusqu'[au] séjour céleste des dieux.» Yggdrasill signifie coursier d'Ygg, l'un d'un nom d'Odin, le premier et le plus ancien des Ases, le « père de tous les dieux ». Celui-ci, après diverses épreuves initiatiques, est devenu dieu, « non seulement des guerriers, mais [aussi] des poètes et des sages, c'est-à-dire des chamans. »  
         Il y a donc, dans cette vision, un apaisement sans doute dû à la réunion de tous les mondes, de toutes les dimensions, de tous les étages. Je ne doute pas que l'anxiété qui m'accompagnait alors si souvent était due à une vision parcellaire de la vie, de mon chemin, une vision qui occultait d'autres éléments qui m'échappaient mais que je sentais exister dans l'ombre. Appréhender l'ensemble du monde par cette allégorie de l'Arbre cosmique était réconfortant ; il n'y avait plus d'angoisse car il n'y avait rien qui se cachait dans l'ombre. La Vie était célébrée, et je m'y sentais à ma place. Cerise sur le gâteau : même la dimension de chaman y trouvait sa place, moi qui me sentais si souvent comme une « chaman ratée ». Lien entre la Terre et le Ciel, entre la Nature et les Dieux, entre la dimension terrestre et la dimension spirituelle, lieu où s'épanouissent toutes les formes de vie, Yggdrasill était l'allié dont j'ai besoin à ce moment-là.
       De la même façon, chaque élément pouvait être analysé : le serpent, le dragon, les rats, l'araignée, les trolls, le dragon, la panthère, les écureuils, la chouette – et que dire du corbeau veuf !! Comme dans un rêve, tout est symbolique, tout a une signification. La thérapeute m'a aidée à décrypter tous ces éléments, pas sûr que certains ne m'aient pas échappé malgré tout… Peu importe. Ce dont je voulais témoigner, c'est que les séances en Bionalyse ne sont pas forcément des revécus, et que la thérapie se fait à tous les niveaux dont nous avons besoin. Il peut exister, comme lors de cette expérience, des apaisements pour des détresses existentielles. La vision de cet arbre, dont j'ignorais tout avant, y compris le nom, a calmé en moi une angoisse qui n'avait pas de nom. Dernière remarque par rapport à cette soi-disant ignorance : nous sommes sans doute bien plus savants que ce que nous soupçonnons… Je ne sais d'où m'est venue cette image, inconscient personnel d'une ancienne lecture, inconscient collectif aux racines obscures, mais il est remarquable que mon « guérisseur intérieur » soit allé chercher cette image exactement au moment où j'en avais besoin (plus tôt je n'en aurais rien fait - plus tard, cela ne m'aurait pas parlé aussi fort). Nous avons en nous des ressources cachées qui peuvent se mobiliser dans certaines circonstances, en particulier lors des modifications de conscience. Nous sommes riches.
      Ceci dit, l'alchimie qui permet la guérison ne pourrait se produire sans la présence et la lumière du thérapeute. Le « voyage » seul ne guérit pas. J'ai mis longtemps à accepter cela, mais je dois à présent le reconnaître : l'homme a besoin d'un Autre pour avancer. Et le thérapeute férenczien, grâce à son tact, grâce à sa bienveillance, a toute sa place dans cet accompagnement.




N.B. Les citations sont issues du livre Mythologies des Arbres, Jacques BROSSE, Ed. Plon, 1989.

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