L'homme est un parlêtre
L'homme est un être qui, fondamentalement, parle.
Cela est visible très tôt chez l'enfant, qui, d'emblée ou presque, témoigne d'un appétit de langage, ce que Bruno Bettelheim nomme “la fonction appétitive”
1. Elle se manifeste bien avant que le langage soit constitué, par l'utilisation d'une parole certes non formulée, certes sans mots, mais néanmoins d'une parole témoignant d'une volonté de communiquer. Parler et communiquer correspondent à une motivation très forte de l'enfant.
Des expérimentations ont été menées, qui concluent à une sensibilité au langage dès le stade fœtal. Si l'appareil auditif est fonctionnel dès la 25° semaine de gestation, il semblerait que les fœtus, à la fin de celle-ci, distinguent des groupes de deux syllabes ou des phrases, réagissant à la séquence sonore et percevant des nouveautés, et manifestant une préférence pour un texte déjà entendu par rapport à un texte nouveau
2.
Il est remarquable que pendant les premiers temps de sa vie sur Terre, de tout ce qu'il entend, rien n'intéresse autant l'
infans que la voix humaine, surtout celle de sa mère. Il montre même une prédilection pour sa langue maternelle et ses intonations caractéristiques. Il est très sensible au bain de langage dans lequel il est immergé.
D'après Spitz, cette appétence pour le langage prend son origine à un niveau phylogénétique : « L'évolution de l'espèce dans la direction humaine a pris son essor lorsque la position debout libéra la main, facilitant ainsi grandement les échanges sociaux puisque en même temps la bouche et la relation orale devenaient disponibles pour la communication
3. » L'homme, en advenant, ne pouvait que devenir un
parlêtre. Déjà Heidegger disait : « C'est bien la parole qui rend l'homme capable d'être le vivant qu'il est en tant qu'homme. L'homme est homme en tant qu'il est celui qui parle.
4 » Lacan a repris ce point de vue heideggerien en créant ce néologisme de parlêtre. Il signifie que « l'être-même de l'homme est dans la parole
5 ». Il n'est donc d'autre alternative pour tout humain que d'être un être de parole, parlant autant que parlé. Le terme de parlêtre, comme le souligne Jacques Cabassut, met en exergue notre façon d'être au monde : « notre inscription dans l'existence, notre rapport au monde, dépendent du langage, du monde symbolique langagier, à la différence du monde instinctuel animalier.
6 »
Il est d'ailleurs à se demander, puisque du symbole au langage il n'y a qu'un pas, si ce n'est pas le symbole lui-même qui est le propre de l'homme : « L'homme parle donc, mais c'est parce que le symbole l'a fait homme
7 », nous dit Lacan. Le fonctionnement social des peuplades, qu'elles soient primitives ou non, montre un symbolisme étonnant. Claude Lévi-Strauss avait pointé en son temps la “foncton symbolique” fondamentale, universelle, caractéristique de l'esprit humain. Les archétypes, processus psychiques fondateurs des cultures humaines mis en évidence par Jung, sont aussi intimement empreints de symbolique. Jusqu'à l'inconscient qui s'exprime de façon profondément symbolique – la voie onirique en est en exemple évident. « Les symboles enveloppent (…) la vie de l'homme d'un réseau si total qu'ils conjoignent avant qu'il vienne au monde ceux qui vont l'engendrer “par l'os et par la chair”, qu'ils apportent à sa naissance avec les dons des astres, sinon avec les dons des fées, le dessin de sa destinée, qu'ils donnent les mots qui le feront fidèle ou renégat, la loi des actes qui le suivront jusque-là même où il n'est pas encore et au-delà de sa mort même, et que par eux sa fin trouve son sens dans le jugement dernier où la verbe absout son être ou le condamne
8 », nous dit Jacques Lacan. La vie entière de l'homme, de sa conception à son outre-mort, est imprégnée de symboles. « Le symbole constitue la réalité humaine
9 », insiste-t-il. Le symbolique crée l'humain, par opposition à l'animalité qui est entièrement engagée dans la nécessité biologique.
Même si Lacan, dans ses
Écrits, tente à chercher hors du domaine humain les origines du comportement symbolique en convoquant le comportement des hirondelles de mer se passant un poisson de bec en bec et y reconnaissant un objet symbolique, il reconnaît qu'il s'en faudrait « de quelque chose pour faire un univers “hirundinisé”
10» de notre monde. « Ce “quelque chose”, ajoute-t-il, achève le symbole pour en faire le langage.
11 » Ainsi donc, pour répondre à notre question, si le symbole peut appartenir au monde animal, il franchit un degré de plus pour devenir élément du langage humain : « pour que l'objet symbolique libéré de son usage devienne le mot libéré de l'
hic et nunc, la différence n'est pas de la qualité, sonore, de sa matière, mais de son être évanouissant où le symbole trouve la permanence du concept.
12 » Le mot s'efface derrière le concept : « Par ce qui ne prend corps que d'être la trace d'un néant et dont le support dès lors ne peut s'altérer, le concept, sauvant la durée de ce qui passe, engendre la chose. » Ce qui fait notre particularité humaine, ce n'est donc pas le symbole, mais le concept symbolisé, l'union entre le concept et le symbole, entre la pensée et le langage.
L'homme est un
parlêtre, donc, maniant symboles et langage, et c'est bien cette dimension qui est appréhendée dans la bioanalyse férenczienne. La plongée dans l'inconscient de la transe auto-hypnotique ouvre sur l'univers symbolique, que le langage permet de décrypter pour que le conscient s'enrichisse. Le langage est le système symbolique qui permet que le symbolique devienne langage, s'il est utilisé dans le cadre psychothérapeutique.
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